guillaume nery

Voici un éditorial que j’ai rédigé pour le magnifique magazine de collection Sphères, qui paraît tous les trois mois, et qui s’intéresse à chaque numéro à une communauté de passionnés. Quel honneur d’écrire comme représentant de ma tribu des plongeurs sous marins! Á mi-chemin entre le magazine et le livre, je vous recommande vivement de découvrir leur travail. 

J’ai grandi sur les bords de la mer Méditerranée. Sa surface a toujours été mon unique horizon. Mes parents m’amenaient enfant plus volontiers dans les montagnes épargnées par la foule, mais depuis les hauts sommets du Mercantour, je me retournais toujours vers elle et son bleu hypnotisant. Alors en bon niçois, j’allais tout de même m’agglutiner sur les plages bondées pendant l’été, et je m’offrais grâce à mon masque et ma paire de palmes des moments de tranquillité et le frisson de l’aventure dans le monde du silence. J’avais alors 7 ans. 

 

Je pourrais vous raconter l’histoire qui lie les humains et l’art de plonger sous la surface des mers, vous parler des chasseurs de poissons, des cueilleurs d’éponges de perles et de crustacés qui ont sillonnés les côtes depuis des millénaires pour survivre, vous compter comment Jacques Mayol et Enzo Maiorca ont écrit les premières pages de l’exploration profonde humaine en apnée dont Luc Besson s’est inspiré pour réaliser son iconique « Le Grand Bleu », évoquer le Commandant Cousteau qui perfectionna le principe du scaphandre autonome permettant au plongeur de respirer sous l’eau, ouvrant ainsi la porte des mystères sous marins au plus grand nombre.


Je fais le choix de vous plonger dans les méandres de mon corps et de mon esprit métamorphosés au cours d’une immersion dans les profondeurs.


Plonger sous la mer, sans artifice, c’est se mettre à nu et s’offrir à l’élément. Tête à tête avec soi, corps à corps avec l’eau, je ralentis mes gestes et mes pensées, j’abandonne à la surface la frénésie du monde en perpétuelle accélération. C’est un pieds de nez à l’ordre établi. Pour vivre il faut respirer. Pour me sentir vivant, je retiens mon souffle. Et le temps s’arrête. La gravité devient souvenir et je suis suspendu, libre d’évoluer dans l’espace sans aucune limite.


Tous mes sens sont chamboulés: le son s’assourdit, la vue s’obscurcit, le gout et l’odorat sont mis en sommeil, alors que l’eau glisse à la surface de ma peau, et que les morsures du froid des grands fonds me saisissent. Le monde des humains est loin au dessus, je pénètre l’inconnu des abysses. Mon coeur ralentit et mon corps tout entier rentre en hibernation pour économiser le précieux oxygène, dont je ne pourrai m’abreuver avant mon retour en surface. Une plongée en apnée est une ode à la simplicité, à la sobriété. Ne subsiste que l’essentiel. Je suis. Et rien d’autre. La pression de l’eau écrase mon corps. Je ne résiste pas, c’est inutile. Je relâche les dernières tensions physiques et mentales et m’offre tout entier à la mer. Je coule sans effort, happé par les profondeurs.


Lorsque tout en bas, à plus de 120 mètres, je m’arrête et contemple autour de moi. Du bleu, rien que du bleu et ses nuances subtiles, partout à l’infini, sans aucune limite. Seul le cable tendu le long duquel j’évolue, mon fil d’ariane, mon dernier lien avec la surface et les miens, ceux qui veillent sur moi depuis la surface, vient trancher le décor. Je ne suis pas chez moi ici, il est temps de repartir. Alors je me profile pour mieux glisser entre les couches d’eau qui me séparent de ma première inspiration. Au cours de la remontée, mon corps se réveille et mon esprit se rappelle que je suis un mammifère. Alors que mes apnéistes de sécurité, mes anges gardiens, me rejoignent proche du but, je sais que mon confinement intérieur est sur le point de prendre fin, partagé entre la hâte de respirer à nouveau librement, et l’envie que le voyage intérieur dure encore un peu. J’inspire. C’est une renaissance. Je regarde une dernière fois vers le bas et retourne à ma vie terrestre, heureux et apaisé.

Sphères Magazine Guillaume Nery