Voici ci dessous ma réponse à la question qui m’a été posée pour l’ouvrage « Pour quoi vous levez vous le matin ? » aux Editions Belin. Le principe de cet ouvrage tient en cette question posée à une série de personnalités: astronaute, philosophe, biologiste, chef cuisinier, artiste, pilote de ligne, astrophysicien, mathématicien… En apparence anodine, cette question souligne la singularité existentielle de la condition humaine
Je ne découpe pas l’année en 12 mois, ni en 52 semaines, ni en 4 saisons. Pour moi, la vie est rythmée par deux grandes périodes.
Il y a celle où j’accompagne chaque matin le réveil du monde. Les premiers chuchotements du jour s’engouffrent dans la chambre entre les lames de mes persiennes niçoises. J’accueille la lumière pâle de l’aube, et alors que j’entrouvre les yeux et que je perçois le chant lointain de quelques hirondelles rustiques, quitter mon lit est une évidence. Je me lève pour prendre part à la danse du vivant comme on ajuste les mouvements du corps au rythme de la musique.
Il y a l’autre période, celle où la sonnerie du réveil annonce sans ménagement l’effondrement de la nuit. La couette épaisse de l’hiver veut me garder encore un peu, juste le temps que quelques rayons ne surgissent de la colline. Mais il faut se lever car les horloges des hommes sont bien indifférentes aux rythmes de la nature. Tant pis si les étoiles constellent encore le ciel d’encre. Tant pis si seules les lueurs glacées des lampadaires me parviennent du dehors. L’heure c’est l’heure. Je convoque les forces d’un esprit encore assoupi pour puiser une raison de m’arracher de mon refuge, une raison plus digne que de me soumettre tête baissée à la dictature des horaires. Alors je pense à ceux qui ne se lèveront pas, à ceux qui ne se lèveront plus. Ils auront vu le crépuscule mais ne verront pas l’aurore. Tous. Humains, insectes, poissons, plantes. Parce qu’un jour, je ne me lèverai plus, ce matin je me lève. Il faudrait pouvoir se réveiller à chaque instant avec les yeux stupéfaits de celui qui réalise le miracle de la vie.
